Publié le 1 février 2023
Retrouvez mon discours en séance publique sur mon rapport sur les conventions France-Sénégal d’entraide en matière pénale et d’extradition
Seul le prononcé fait foi
« Madame la présidente / Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur l’approbation de deux conventions signées en 2021 à Paris avec le Sénégal, portant l’une sur l’extradition, et l’autre sur l’entraide judiciaire en matière pénale.
La France est actuellement liée au Sénégal par un accord de coopération judiciaire datant de 1974. Cependant, depuis cette époque, des évolutions majeures sont intervenues.
La criminalité organisée s’est complexifiée et internationalisée, avec des réseaux de trafics d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes, de cybercriminalité, etc., qui exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne, avec des ramifications jusqu’en Europe.
La visite du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à Dakar le 21 décembre dernier a été l’occasion de faire le point sur les réseaux d’immigration clandestine ainsi que sur le trafic international de crack, dont nous connaissons les répercussions dramatiques dans certains quartiers de Paris.
Les pays de la région font face, par ailleurs, depuis plusieurs années, et dans des proportions inédites, à une menace terroriste qui continue à faire de nombreuses victimes.
Le Sénégal a été jusqu’à présent épargné par les attentats et l’islamisme radical. Tel n’est pas le cas, en revanche, de pays voisins comme le Mali, le Niger ou encore le Burkina Faso.
Dans ce contexte, la porosité de la frontière sénégalo-malienne, de près de 500 kilomètres, tend à fragiliser l’Est du Sénégal, région déjà pauvre et relativement délaissée.
La criminalité organisée et le terrorisme ont, de surcroît, tendance à s’imbriquer. Les autorités françaises peuvent, par ailleurs, avoir à connaître de ce type d’affaires, dans les cas où des ressortissants français seraient mis en cause, en seraient victimes, ou encore, en cas de répercussion sur la sécurité de notre pays. En sens inverse, les autorités sénégalaises peuvent avoir besoin de la coopération des juridictions françaises dans des dossiers d’une certaine envergure ou d’une grande complexité.
Or, l’accord bilatéral de 1974 n’apparaît plus adapté aujourd’hui aux défis posés par le terrorisme et la criminalité organisée. L’exécution des demandes françaises d’entraide et d’extradition se révèle ainsi trop lente, aboutissant parfois au dépérissement des preuves ou à la clôture des dossiers, faute de résultats.
Les présentes conventions visent donc à rénover un cadre juridique jugé obsolète. Cela permettra de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes, et à prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1974.
Ces conventions organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d’entraide et d’extradition, en particulier dans les cas les plus urgents, en posant une obligation de célérité.
Je rappelle que l’extradition n’a rien à voir ni avec l’expulsion, ni avec le droit des étrangers. Ce dont nous parlons ici, c’est d’une procédure de nature judiciaire, visant à remettre l’auteur d’un délit ou d’un crime à un autre État pour qu’il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine.
La procédure d’extradition a pour objet d’empêcher que l’auteur d’une infraction grave aille trouver refuge dans un autre État. Elle est donc essentielle pour garantir le droit des victimes et ne pas laisser impunis des comportements délictuels graves.
La convention d’entraide judiciaire permettra de recourir aux techniques modernes d’enquête qui n’étaient pas couverts par l’accord de 1974 telles que : les auditions par vidéoconférence, les demandes d’informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d’avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration, etc.
De plus, ces deux conventions prévoient – et il est primordial de le souligner – les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédures.
L’entraide peut ainsi être refusée si les autorités compétentes, ici les autorités judiciaires nationales, jugent que la demande se rapporte à des infractions politiques. Ces garanties permettront ainsi d’éviter que de telles procédures, ne puissent être détournées d’une quelconque façon.
Par ailleurs, les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu’elles sont appelées à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d’immunités précisément définies.
De même, l’extradition ne saurait en aucun cas être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique ou s’il existe des raisons sérieuses de croire que l’extradition aboutirait à poursuivre ou punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques.
Par ailleurs, autre garanti d’importance, en vertu du principe dit « de spécialité », une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition.
Une clause excluant l’extradition lorsque l’infraction en cause fait encourir la peine de mort figure aussi dans la convention, alors même que le Sénégal a aboli la peine capitale en 2004 et que la dernière exécution remontait à 1967, dix ans donc avant la dernière exécution en France.
Les deux conventions prévoient également des garanties pour la protection des données personnelles.
Les textes négociés ont fait l’objet d’une élaboration attentive, inspirée en grande partie des mécanismes de coopération de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Ils sont très proches des conventions signées avec le Niger et le Burkina Faso en 2018 que l’Assemblée nationale a approuvé et qui sont entrées en vigueur.
Mais, pour que cette modernisation du cadre juridique ait un impact dans l’amélioration de notre coopération judiciaire, il faut qu’elle s’accompagne d’un soutien français au Sénégal pour s’approprier ces nouveaux moyens.
La France a commencé à le faire, via son magistrat de liaison, à Dakar. Un projet, mis en œuvre par Expertise France depuis un an, vise aussi à développer au Sénégal un Bureau de l’entraide pénale internationale, sur le modèle du Bureau français.
La coopération judiciaire entre nos deux pays, au demeurant, peut s’appuyer sur une culture juridique et administrative commune. Notre organisation judicaire est en effet largement similaire, avec un double degré de juridiction ainsi que la présence, dans le code pénal sénégalais, des principes classiques du droit pénal français, tels que le principe de légalité des délits et des peines.
J’ajouterai que cette coopération repose aussi sur des liens d’amitié historiques. Preuve de cela, le Sénégal est le seul pays d’Afrique subsaharienne avec lequel la France tient un séminaire intergouvernemental annuel.
Les visites bilatérales entre nos autorités sont fréquentes. Elles peuvent d’ailleurs être l’occasion de se dire les choses, avec franchise, lorsque nos vues ne concordent pas ou lorsque des points nous préoccupent. Tel avait été le cas, par exemple, lors de l’adhésion du Sénégal en 2020 à la déclaration dite du « Consensus de Genève ». La France restera également attentive, dans le respect bien sûr de la souveraineté du Sénégal, aux conditions de déroulement des élections présidentielles de 2024 et au respect des droits des oppositions.
Tous ces sujets requièrent bien sûr notre attention. Mais il serait erroné d’y voir des raisons de ne pas approuver deux conventions qui vont dans le sens de l’amélioration de la sécurité et du renforcement du droit des victimes.
Le Sénégal est un État de droit, avec une organisation judiciaire proche de la nôtre et des juges indépendants, bien formés. Il faut faire confiance au juge pour l’application de ces conventions, qui comportent toutes les garanties nécessaires à prévenir un usage abusif.
Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus de l’importance de ces 2 conventions, tant au regard de la lutte contre la criminalité organisée et contre le terrorisme, que des liens forts qui nous unissent au Sénégal.
C’est au vu de ces enjeux que la commission des affaires étrangères a adopté le présent projet de loi et que je vous invite à faire de même ».