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Rapporteur sur le projet de loi pour ratifier les conventions d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale conclues entre notre pays et le Sénégal.

Retrouvez mon intervention en Commission des affaires sociales ce midi :

Seul le prononcé fait foi

« Monsieur le président, Mes chers collègues,

Il m’appartient de vous présenter aujourd’hui les conventions d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale conclues avec le Sénégal et dont il vous est demandé d’autoriser l’approbation. Ces conventions, négociées à la demande du Sénégal, ont été signées à Paris en 2021.

La France est actuellement liée au Sénégal par un accord de coopération judiciaire signé en 1974. Toutefois, depuis cette époque, des évolutions notables sont intervenues. La criminalité organisée s’est internationalisée et complexifiée, avec des réseaux de trafics d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes, de cybercriminalité, etc., qui exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne, avec des ramifications en Europe. La visite du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à Dakar en décembre dernier a été l’occasion, pour les autorités de nos deux pays, de faire le point notamment sur les réseaux d’immigration ainsi que sur le trafic international de crack, dont nous connaissons les répercussions dans certains quartiers de notre capitale.

Les pays de la région font face, par ailleurs, depuis plusieurs années, dans des proportions inédites, à une menace terroriste qui continue malheureusement à faire de nombreuses victimes. Le Sénégal a été pour l’instant épargné par les attentats et l’islamisme radical ne semble pas s’y être implanté sérieusement. On le doit peut-être à la forte présence des confréries religieuses, d’inspiration soufie, qui certes promeuvent un islam aux principes plutôt conservateurs, mais tolérant et sans attache avec une violence de type djihadiste. Tel n’est pas le cas, en revanche, de pays voisins comme le Mali, le Burkina Faso ou encore le Niger. Comme l’a rappelé le 19 janvier le général Babacar Gueye, ancien chef d’état-major général des armées du Sénégal, ayant exercé des responsabilités dans le cadre de l’ONU : « Il y a bien une crise sécuritaire dans le Sahel qui ébranle tous les ordres établis, tous les équilibres ». Dans ce contexte, la porosité de la frontière sénégalo-malienne, de près de 500 kilomètres, est de nature à fragiliser l’Est du Sénégal, région déjà pauvre et relativement délaissée.

La criminalité organisée et le terrorisme ont, au demeurant, tendance à s’entremêler. Les autorités françaises peuvent avoir à connaître de ce type d’affaires, soit que des ressortissants français figurent parmi les victimes, soit qu’au contraire ils soient mis en cause, soit encore que les dossiers concernés soient susceptibles d’avoir des répercussions pour la sécurité pour notre pays. En sens inverse, les autorités sénégalaises peuvent avoir besoin de la coopération des juridictions françaises dans un certain nombre de dossiers d’une certaine envergure.

L’accord bilatéral de 1974 n’apparaît plus adapté aujourd’hui, dans bien des domaines, aux nouveaux défis posés par la criminalité organisée et par le terrorisme. L’exécution des demandes françaises d’entraide et d’extradition se révèle ainsi particulièrement lente. Les présentes conventions visent donc à rénover un cadre juridique devenu obsolète, en vue notamment de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes. Elles visent aussi à prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1974, avec en particulier la généralisation du numérique et de la dématérialisation.

Ces conventions organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d’entraide et d’extradition, notamment dans les cas les plus urgents. Elles posent expressément une obligation de célérité. Je rappelle à toutes fins utiles – et pour éviter toute ambiguïté – que l’extradition n’a rien à voir ni avec l’expulsion, ni avec le droit des étrangers. Elle est une procédure à caractère judiciaire, visant à remettre l’auteur d’un délit ou d’un crime à un autre État pour qu’il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine. Elle a pour objet d’empêcher que l’auteur d’une infraction d’une certaine gravité aille chercher refuge dans un autre État pour ne pas avoir à répondre de ses actes.

La convention d’entraide judiciaire, en particulier, permet de recourir aux techniques modernes d’enquête telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d’informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d’avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration, autant de domaines qui n’étaient pas couverts par l’accord de 1974 et qui constituent aujourd’hui des outils essentiels dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme.

Ces conventions prévoient – et c’est essentiel – les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédures. L’entraide peut ainsi être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques. Les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu’elles sont appelées à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d’immunités précisément définies.

De même, l’extradition ne saurait être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique ou s’il existe des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée en vue de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques. Par ailleurs, en vertu du principe dit « de spécialité », une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition.

Une clause excluant l’extradition lorsque l’infraction concernée fait encourir la peine de mort figure aussi dans la convention, alors même que le Sénégal a aboli la peine capitale en 2004 et que la dernière exécution remontait à 1967, dix ans donc avant la dernière exécution en France.

Les deux conventions comportent également des garanties pour la protection des données personnelles.

Les textes négociés ont fait l’objet d’une élaboration attentive, largement inspirée des mécanismes de coopération de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Ils sont très proches des conventions signées avec le Burkina Faso et le Niger en 2018 dont l’Assemblée nationale avait autorisé l’approbation et qui sont entrées en vigueur.

Il me paraît important que cette modernisation du cadre juridique s’accompagne d’une disponibilité de notre pays pour aider le Sénégal à s’approprier ces nouveaux outils. La France a commencé à le faire par l’intermédiaire de son magistrat de liaison, en poste à Dakar. Par ailleurs, un projet, mis en œuvre par Expertise France depuis un an, tend à développer au Sénégal un Bureau de l’entraide pénale internationale (BEPI), sur le modèle du Bureau français. La France a contribué aussi à la création de l’École nationale de cybersécurité à vocation régionale de Dakar. Elle met par ailleurs en œuvre des programmes de formation des magistrats étrangers, notamment africains. 

La coopération judiciaire entre nos deux pays, au demeurant, peut s’appuyer sur une culture juridique et administrative en grande partie commune. Notre organisation judicaire est en effet largement similaire, avec un double degré de juridiction, une Cour suprême connaissant des recours en cassation, un Conseil constitutionnel, une Cour des comptes et un Conseil supérieur de la Magistrature, pour ne citer que ces exemples. Les principes classiques du droit pénal français, tels que le principe de légalité des délits et des peines, ont également été repris dans le code pénal sénégalais de 1965, complété depuis par de nouvelles incriminations.

J’ajouterai que cette coopération, au-delà même du cadre juridique qui nous rapproche, peut s’appuyer sur des liens d’amitié particulièrement anciens et solides. Rappelons que la langue officielle du Sénégal est le français, ou encore que les deux tiers des étudiants sénégalais à l’étranger se trouvent en France où ils constituent le premier contingent d’étudiants étrangers francophones. Fait significatif également, le Sénégal est le seul pays d’Afrique subsaharienne avec lequel la France tient un séminaire intergouvernemental, alternativement à Dakar et à Paris. La cinquième édition du séminaire a eu lieu le 8 décembre dernier. Les visites bilatérales entre nos autorités sont nombreuses. Elles peuvent d’ailleurs, au besoin, être l’occasion de se dire les choses lorsque nos vues ne concordent pas. Tel avait été le cas, par exemple, lors de l’adhésion du Sénégal en 2020 à la déclaration dite du « Consensus de Genève ». La France restera également attentive, par exemple, et dans le respect bien sûr de la souveraineté du Sénégal, aux conditions de déroulement des élections présidentielles de 2024.

En résumé, au regard tant des enjeux de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme que des liens forts qui nous unissent au Sénégal, l’approbation de ces conventions me paraît particulièrement opportune et bienvenue. C’est pourquoi je vous invite à adopter le présent projet de loi qui l’autorise ».

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